Jour 1 : 981 kilomètres, 40°C, l’autoroute.
Je pense que tu comprendras qu’il est difficile de partir sans date de retour. Ce Jeudi 20 Août 2020, je partirai de Bordeaux avant 8 heures, estimant un retour dans 6 semaines. Peut-être moins, peut-être plus. Je ne suis toujours pas bien clair sur mon itinéraire de retour, ni sur tout ce qui va se passer. Au moment de mon départ, les tensions diplomatiques entre la Turquie et la Grèce sont importantes, la France prête des avions de chasse à la Grèce, Erdogan joue l’intimidation, les Grecs la fierté.
A ce moment là, mon objectif est géographique. Les plateaux est d’Anatolie et avec eux, les frontières orientales de la Turquie. Je ne pourrais de toute façon pas aller plus loin, je serais confronté à ce mur dressé de la main des Hommes et renforcé par la Covid. Seul impératif immédiat ? Être à Ancône, sur la côté Adriatique Italienne le Samedi 22 Août pour embarquer avec Babe dans un ferry pour Patras en Grèce.
Ainsi donc, je partirais ce Jeudi peu avant 8 heures pour une première journée qui totalisera 981 kilomètres sous un soleil de plomb. Equipé des pneus route d’origine de la GSA, je me dis que ce n’est pas bien grave si je les consomme sur de l’autoroute linéaire et ennuyeuse. Je m’arrêterai déjeuner avec un ami à Lyon. Clairement, la combinaison de moto en mode astronaute intrigue, et n’est pas ce qu’il y a de plus subtil quand tu veux juste déjeuner tranquillement. Ce n’est pas grave, il faut de toute façon se préparer à être pris pour un ovni pendant tout ce périple.
En reprenant la moto vers 14 heures, je commence à m’interroger où je vais dormir cette nuit. J’utilise plusieurs applications pour trouver des couchages, mais je ferais principalement usage de park4night. Considérant ma route, et ne souhaitant pas faire de trop important détours, j’établis un point de chute, le camping Piccolo E Maieu à Garbagna qui ne semble pas trop m’éloigner de mon autoroute. Je ferais donc route vers ce lieu. La moto indique 40°C, le bitume chaud de l’autoroute rend le tout encore plus terrible, le terme de « fournaise » prend alors tout son sens. Je m’arrête pour faire le plein peu avant la frontière Italienne, j’enlève mon blouson, mon t-shirt est une éponge, l’employé de la station rigole et m’offre une glace.
La frontière Italienne se traversera sans embûche. Légèrement en altitude, la température y est plus agréable. Au final, on ne me demandera ni mon test PCR, ni même le formulaire de déclaration Covid à l’entrée du territoire. J’arriverai vers 18H30 au camping. Rincé. Caravanes partout, je suis le seul à avoir un véhicule « léger ». Première nuit en tente depuis des années, matériel neuf, beaucoup d’incertitude. Une jeune femme me proposera de venir dîner avec elle et son mari, mais je serais vraiment trop fatigué et préfèrerai décliner l’invitation par peur d’être un mauvais convive. Puis qui sait, les rations lyophilisées seront peut-être meilleures que je ne le pensais ?
Jour 2 : Un crochet par Parme
Réveil avec le chant des oiseaux. Je remarque avec satisfaction que je n’ai que peu de courbatures. Un petit conseil, prend le temps de t’étirer (surtout le dos et la nuque) avant de te coucher. Une habitude que j’ai perdu à un moment en Turquie et qui m’a valu de me transformer progressivement en caillou, de ne plus pouvoir tourner la tête sans le reste du buste, et de passer beaucoup trop de temps chez mon ostéopathe à mon retour. Donc étire-toi !
Ce matin, Vendredi 21 août donc, je sais qu’il me reste moins de 500 kilomètres pour atteindre Ancône. Je décide du coup de m’arrêter à Parme. Pourquoi Parme ? Je ne sais pas vraiment. J’avais en tête que Bologne, qui était aussi sur ma route, serait industriel. Parme, après tout, fait écho au jambon. Entre une ville industrielle et une ville de jambon, il me paraît plus intéressant de visiter Parme (je n’ai jamais prétendu que mes décisions étaient faites sur des critères rationnels).
Parti pour Parme avec un sous-objectif en tête. Puisque je suis en Italie, autant manger une pizza. Chose faite avec une arrivée proche du centre de Parme vers 12h30. Pizza « engloutie » (au jambon de parme bien sûr), je reprends ma moto pour me rapprocher du centre historique. Nous sommes Vendredi, il est 14 heures, il fait 37°C à l’ombre, Parme est déserte.
Je poursuis ensuite ma route. Sauf que je n’ai aucun intérêt à arriver dans une ville portuaire et à y patienter. Après tout, mon ferry est à 16H le lendemain. Je vais alors trouver le Camping Gabicce Monte à Rimini 150 kilomètres avant Ancone, perché sur sa colline, donnant directement sur la mer avec un accès direct. Je les contacte par WhatsApp, ils me disent qu’ils sont plein. Je joue la carte du motard solitaire, et reçois une réponse chaleureuse. Un des gérants du camping est lui aussi motard. J’arriverai 2 heures plus tard, on me trouvera une place pour poser la tente, on me fera payer le prix d’ami comparé à ce qui est affiché, après tout, nous sommes entre motards.
Il n’y a pas à broncher, l’endroit est effectivement magnifique. Tu te demandes vraiment ce que tu fais de ta vie, quand en 2 jours tu peux atteindre ce genre de lieux enchantés. Autour de moi, des tentes et des camping-cars venus pour plusieurs jours voire plusieurs semaines. Certains pour tout l’été. Je préfère mon nomadisme, je préfère mon aventure. Et pourtant, ce n’est que mon deuxième soir. N’y vois pas un esprit de suffisance, mais j’apprécie ne pas savoir où je dors le soir, j’apprécie de n’être qu’éphémère. Ce nomadisme me donne l’impression d’enfin rassasier un appétit Pantagruel de découvertes. En 36 heures, j’aurais parcouru tellement de kilomètres et observé tellement de paysages qu’il serait malheureux d’interrompre de moi-même cet élan.
Une fois installé, je me glisserai dans mon maillot et irais me baigner. Le chemin est abrupt et se complique, surtout en tongs. Mais une fois arrivé en bas, l’eau sera chaude. J’en profiterai pour m’étirer et aussi travailler mon épaule droite qu’a une tendinite et que j’ai soumise à 5 séances de kiné en urgence avant de partir. J’irai dîner le soir dans le quartier de Cattolica, sur les conseils du motard-gérant. Le réveil face à la mer (sans dédicace à Calogero) me tarde, et le ferry pour la Grèce aussi.
Le motard solitaire peut compter sur les motards solidaires.
Jour 3 : Maman les p’tits bateaux
Samedi 22 Août 2020. Réveil somptueux. La vue plongeante sur la mer est exceptionnelle. Mais pas le temps, j’ai environ 120 kilomètres jusqu’à Ancône mais je ne tiens pas à prendre l’autoroute. J’en ai marre. Je veux profiter de la côte Adriatique et des collines qu’elle offre. J’utilise alors l’application BMW Connected, mets comme destination le port d’Ancône, indique vouloir des routes sinueuse et éviter les autoroutes. C’est parti. Une courte pause dans une boulangerie pour me prendre un café (italien bien sûr), et me voilà à longer le front de mer, puis à remonter dans les montagnes. J’ai le temps. Avoir le temps. C’est marrant ça. « J’ai le temps ». La notion de temps. Généralement on en manque. Là j’ai le temps. La notion de possession du temps m’intrigue. Si il y a une chose que l’on possède c’est soi, pas le temps. Bref, je t’épargne mes réflexion de philosophe de comptoir, mais les notions de propriété du temps et du temps lui-même vont être au cœur de ce périple et de la réflexion qui en suivra.
Arrivé à Ancône vers midi me semble-t-il. Je trouve un McDonald (critique pas), puis rejoins mon ferry dont le départ est prévu à 16H mais tu dois te présenter avant. Embarquement effectué, sécurisation de la moto, se pose alors la question de quel équipement prendre sur moi en cabine ? Le parking sera fermé une fois que nous aurons quitté le port, il faut donc choisir avec parcimonie. Au final, je vais garder ma combinaison, et simplement sangler mon second casque au siège arrière. Je prendrai mon petit sac à dos souple dans lequel je mettrais un livre, ma gourde, mes papiers, ma trousse de toilettes, et ma serviette. La traversée, pour laquelle je n’ai pas pris de lits-couchette, simplement un fauteuil doit durer 24 heures, me coûtera 126 €. Lors d’une traversée, plus t’es loin des côtes, moins t’as de réseau (voire pas du tout la plupart du temps), donc n’oublie pas de prendre de quoi t’occuper 🙂